Les ateliers du citron

Comment parler de la mort avec mon enfant

Le deuil

Il est un sujet délicat lorsque l’on a des enfants, et que l’on ne sait pas toujours aborder: celui du deuil. Lorsque l’on attend un enfant, et que l’on veut s’informer à fond pour une éducation bienveillante, souvent on s’informe sur l’accouchement, l’allaitement, les pédagogies alternatives, on suit une formation montessori… mais rarement on se questionne sur la manière dont on peut parler de la mort avec son enfant.

Parce que c’est un sujet douloureux, d’abord. Et parce que nous avons chacun notre rapport particulier à la mort. Et que lorsque l’on pense à un enfant, c’est surtout la vie qui nous vient. Alors on n’y pense même pas, ou alors cette idée reste dans un coin de la tête, discrète, silencieuse… jusqu’au jour où nous avons besoin d’expliquer à notre tout petit, ou à notre presque grand, que tel être cher, ou inconnu, a arrêté de vivre.

Comment parler de la mort avec mon enfant? Quels sont les mots à employer? Est il trop jeune pour comprendre? Dois-je le protéger? Comment? Existe t il des supports pour en parler? On en parle.

Les mots

Tout d’abord, il va falloir se questionner sur les mots à employer.

Parce que la mort est empreinte d’une forte connotation dans notre culture, l’enfant va absorber un climat émotionnel intense. S’il n’est pas nécessaire de faire d’emphase lorsque l’on aborde le sujet de la mort avec un enfant, il est tout aussi crucial de ne pas minimiser ou enjoliver les choses.

Il est capital d’utiliser les mots justes. Et de parler de « mort » de « décès » d’expliquer que le défunt a arrêté de vivre, que son corps ne fonctionne plus et que nous ne le reverrons plus jamais. Il est très important de ne pas utiliser les mots comme « il est parti » ou bien « il s’est endormi pour toujours » car nous mettrions alors des angoisses potentielles sur des situations normalement banales. Personne ne souhaite que son enfant soit terrorisé à l’idée de nous voir partir au travail et ne jamais revenir, ou qu’il soit pris d’angoisses incontrôlables qui l’empêcheraient de trouver le sommeil craignant de ne jamais se réveiller.

Lorsque un décès survient dans l’entourage, mon premier reflexe concernant mes enfants est de leur en parler moi même, et de prévenir nos proches que je souhaite que le sujet en leur présence soit abordé dans la vérité.

J’informe aussi l’entourage de mes convictions religieuses afin que mon discours ne soit pas contredit. Afin de ne pas créer une confusion chez l’enfant.

que vous croyiez au paradis, à la réincarnation ou à l’arrêt pur et simple de l’existence de l’être après la mort, il vous faut être clair avec votre enfant en lui disant « moi je pense que … » et vous pouvez selon son âge lui expliquer que d’autres croient plutôt telle ou telle chose et qu’il est important de respecter les convictions de chacun.e.

J’ai en mémoire le cas de deux enfants absolument terrifiés pendant des semaines, suite au décès de leur vieux voisin. La famille était athée et personne n’avait abordé le sujet d’une éventuelle vie après la mort. Mais une grand mère au croyances religieuses fortes les avait gardés pendant cette période et leur avait expliqué que l’âme du défunt était encore présente dans les murs de sa maison.
Non seulement il a fallu beaucoup de temps aux parents pour comprendre les angoisses soudaines de leurs enfants, mais la solution pour les apaiser a été vraiment radicale! Les deux maisons étant mitoyennes et la famille étant propriétaire de la totalité des lieux, il a fallu que le papa casse littéralement les murs de la maison du voisin afin de prouver aux deux petits qu’aucune âme ne se promenait à l’intérieur!

Les émotions

La tristesse est une émotion très importante. Elle est un mouvement vers le bas, qui nous permet de lâcher. Nos enfants sont de véritables éponges à nos émotions, et ils ressentent nos états sans pour autant pouvoir les expliquer.

Il va donc être très important de dire à l’enfant ce que vous ressentez, que c’est juste normal et naturel.

Vous pouvez aussi expliquer que tous ont des façons différentes de vivre et d’exprimer leurs émotions. Certains vont pleurer, voire crier, d’autres vont se réfugier dans leur bulle un certain temps, certains vont aller du rire aux larmes en un rien de temps et d’autres vont tout à coup avoir besoin d’être très occupés. On a parfois besoin de dormir beaucoup ou au contraire des difficultés à trouver le sommeil lorsque l’on est en deuil. Il est normal de ressentir toute une palette d’émotions et c’est ok de les laisser sortir.

Nous expliquerons aux enfants que certaines personnes seront tristes, ou peut être même en colère, et que chacun a le droit de vivre ses émotions à sa manière. Qu’ils ne sont responsables en rien des émotions de leurs proches, et il n’est pas question de les investir d’une mission à l’égard des adultes (réconfort, prendre soin etc…).

Les aspects … techniques

Il y a des milliers de façons de rendre hommage à un défunt. De la veillée à l’inhumation en passant par l’incinération, les funérailles sont un sujet à aborder avec l’enfant.
Il suffit d’expliquer à l’enfant que pour rendre hommage, et se permettre de dire au revoir au défunt, ses proches ont choisi de faire une cérémonie. Il est important de donner deux ou trois détails techniques concrets afin que l’enfant puisse se faire une image précise et donc dénuée d’angoisse et de fantasmagories. On dira par exemple que certaines personnes vont apporter des fleurs, que l’on peut jouer une musique appréciée du défunt, qu’il y aura peut être quelques photographies pour se souvenir, et que des gens prendront la parole pour dire ce qui leur tient à coeur ou pour raconter un moment important de la vie du défunt ou un détail fort de sa personnalité.

Lorsque l’enfant connaissait le défunt, il peut très bien assister aux obsèques ou non. Je pense qu’il n’y a pas d’âge pour avoir le droit de dire au revoir à un être cher. Si vous vous en sentez capable, je pense qu’il est bon de proposer à l’enfant d’être présent s’il le souhaite. Mais à vous parents de déterminer si les conditions seront réunies pour que vous puissiez accompagner votre enfant au travers des émotions qu’il va traverser lui-même. Parfois notre propre tristesse fait que nous ne nous sentons pas en état d’assumer nos enfants lors des funérailles, dans ce cas là je pense qu’il est important de ne pas se forcer.
Dans certains cas, un décès peut raviver de fortes tensions familiales et avec un contexte très chargé en émotions vous pourrez aussi avoir envie de protéger vos enfants de ce moment.

Que votre enfant assiste ou non aux obsèques, vous pouvez tout à fait lui proposer de participer à l’hommage de façon très simple. Par exemple, l’enfant pourra choisir une fleur, réaliser un dessin à mettre à côté du cercueil comme un dernier cadeau à la personne décédée, ou bien vous aider à choisir une photo de la personne qui la met en valeur.

Cela doit rester sur la base du volontariat et tous les enfants ne ressentent pas forcément le besoin de participer. Mais le simple fait que cela soit possible leur ouvre une option concrète pour pouvoir vivre leur deuil et c’est un chemin qui peut les aider s’ils le choisissent.

Par exemple, lors du décès d’un petit cousin, avec l’accord des parents, mes enfants ont choisi un doudou à mettre dans le cercueil. Ils n’étaient pas présents aux obsèques mais cela leur a permis de se sentir acteurs et de pouvoir vivre le deuil à leur manière. C’est aussi un moyen de lancer le dialogue de façon apaisée autours de ce qu’il s’est passé. L’enfant en profitera souvent pour poser ses questions, et nous serons plus disposés à y répondre sereinement.

On peut tout à fait, toujours dans le respect et avec l’accord de la famille, prendre une ou deux photos du cercueil fermé afin de pouvoir ensuite les montrer à nos enfants et leur raconter le déroulement de la cérémonie. Il peut être important pour eux de pouvoir comprendre et visualiser.

Selon les enfants, certains vont poser beaucoup de questions, et d’autres vont se satisfaire d’explications simples et sommaires.

La vérité, toute la vérité?

Je vais aborder ici un point très particulier mais qui me tient à coeur.
Ce point ne concerne pas tous les enfants. Mais il est bon de l’avoir en tête pour pouvoir corriger le tir au besoin.
La notion de vérité est centrale. Mais je n’avais pas pensé à quel point elle pouvait être globale dans certains cas.
La spécificité de certains enfants fait qu’ils ont besoin de la vérité toute nue, mais aussi de la vérité entière.


J’illustre mon propos:
On pourrait croire qu’il est trop violent d’expliquer l’inhumation, la crémation, ou même la détérioration du corps physique. Je comprends tout à fait cela. Mais voilà: ce que l’enfant ne sait pas, il l’imagine. Et à titre d’exemple personnel, j’ai eu beaucoup de chance, de pouvoir intervenir à temps et de pouvoir stopper la situation et corriger le tir avant qu’un drame ne se produise.

Je m’explique:

Mes enfants, âgés alors de 3,5 et 1,5 ans, ont été confrontés de près au deuil d’un enfant qui leur était proche et très cher à leur coeur. J’ai bien évidemment expliqué tout ce qui me paraissait nécéssaire et juste, et je m’en suis tenue à tout ce qui précédait la crémation. Ma fille ne m’a pas posé plus de questions, la connaissant j’etais prête à aller plus loin dans mes explications mais mon mari m’a stoppée en me disant que j’allais peut être trop loin. J’ai admis que je répondrais à ses questions si elle en avait, et je ne suis pas allée au delà sur le moment.

Quelques semaines ont passé, et ma fille, cette adorable petite curieuse avide de connaissances et de compréhension du monde, a demandé à son petit frère, très moteur déjà et parfaitement capable d’escalader un rebord de fenêtre, bref elle lui a demandé quoi? de sauter par la fenêtre du premier étage. Comme ça, pour voir, sans méchanceté aucune.
Et mon fils, en adoration totale pour sa grande soeur comme beaucoup de petits frères de cet âge là, et pas du tout familier avec la peur du danger comme tous les enfants de son âge, de s’empresser d’essayer de s’exécuter.
Fort heureusement nous avions installé des sécurités aux fenêtres et le temps qu’elle attrape la clef (que je pensais pourtant hors de portée!) et l’introduise dans la serrure j’ai pu arriver en courant et stopper leur entreprise.

Une fois le danger écarté (pour le moment!) et mon coeur revenu dans ma poitrine, j’ai ouvert le dialogue avec ma fille.
Elle sait parfaitement qu’il n’est pas permis aux enfants d’ouvrir les fenêtres de l’étage et elle connaît les dangers.
Ma pire erreur aurait été de présumer d’une quelconque volonté de nuire de sa part, ou d’une absence de considération pour les règles.
Ce jour là, j’ai pris le temps de bien respirer car il fallait que je sois efficace dans ma relation avec ma fille. IL ETAIT IMPERATIF QUE JE SOIS UNE MAMAN PERFORMANTE DANS CE SUJET PRECIS.
Heureusement, ce jour-là était un bon jour pour moi et j’ai réussi à trouver la ressource interne pour ne pas sur-réagir et penser avec ma logique et mes compétences avant de parler avec ma peur.
J’ai donc commencé à la questionner de façon ouverte pour comprendre ses motivations, le seul moyen de déjouer ses plans de façon durable étant de travailler sur la source de son idée.

Voici donc un extrait de notre conversation:
Moi:  » Tu as demandé à ton frère de sauter par la fenêtre de sa chambre. Pourtant tu sais que vous n’aurez le droit d’ouvrir les fenêtres vous même que lorsque vous serez capables de le faire alors que vos pieds touchent le sol pour être en parfaite sécurité. Que se serait il passé si ton frère était monté sur le rebord de la fenêtre? »
Elle: « Il aurait pu tomber. »
Moi: « Oui. Et que lui serait il arrivé s’il était tombé? »
Elle : « Il aurait pu être blessé gravement et devoir aller à l’hôpital. Ou bien il aurait pu être mort. » (elle connaît très bien le sujet car nous l’avions abordé des mois avant, lorsque nous avions installé les serrures aux fenêtres pour pallier à leurs envies de voir les oiseaux de plus près).
Moi: « Et que ce passerait il si ton frère mourrait? »
Elle : « Tu serais très triste. »
Moi: « Et toi? »
Elle: « Ben non! parce que comme il serait mort à la maison on pourrait le garder pour toujours! donc il serait toujours là!!! »

Aïe.

A ne pas vouloir perturber ma fille en stoppant mes explications, j’avais attisé en fait sa curiosité sans le savoir, et elle manquait d’éléments tangibles pour comprendre à quel point la mort était définitive. C’était surprenant, car elle avait l’habitude que le chat nous rapporte des mulots ou des oiseaux. et elle avait déjà vu des corps sans vie. Mais j’allais devoir lui expliquer pourquoi nous ne gardons pas les corps de nos défunts, et ce que nous en faisions.
Je suis allée chercher une orange qui pourrissait lentement dans mon panier de fruits (ouf! je n’avais pas eu le temps de la jeter!) et je lui ai ainsi expliqué la décomposition des corps.
Puis j’ai expliqué l’enterrement, la crémation, et enfin j’ai bien insisté sur le fait que dans la mort, le corps est totalement inanimé et que même si on pouvait pratiquer un embaumement pour conserver le corps, la personne n’est plus là et il est impossible d’interagir avec elle.
Enfin j’ai conclus et renforcé mon propos par le fait qu’il est absolument interdit de mettre fin à la vie de quelqu’un, que ce soit soi-même ou en poussant un autre à faire quelque chose de dangereux pour sa personne, que c’est interdit pour tout le monde, adultes et enfants et qu’il y a même des lois pour cela.

Tous les verrous du monde ne valent rien face à l’adhésion raisonnée et convaincue de son intellect à une règle dans laquelle elle trouve de la logique et du sens.

Les supports

Pour aller plus loin, il existe de nombreux ouvrages très bien faits. En voici quelques exemples:

Au revoir monsieur Blaireau, de Susan Varley aux éditions Gallimard Jeunesse

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Si on parlait de la mort, de Catherine Dolto

Le très bon blog apprendre à éduquer dresse une liste détaillée d’ouvrages littéraires.

Je vous recommande aussi l’excellente site québécois naître et grandir pour aller encore plus loin.

J’espère du fond du coeur que cet article vous sera utile et vous permettra d’aborder avec le plus de douceur possible cet aspect si indissociable de la vie qu’est sa fin.